Si l’on en croit le site russie-voyage.com, « la République du Daghestan est un endroit rêvé pour un voyage en Russie… ». Et le boniment se poursuit, vantant les beautés de la région, ses trésors architecturaux, historiques et naturels. Évidemment, nulle mention de la violence sous-jacente qui y règne en permanence et explose régulièrement. Car depuis la chute de l’URSS, les ingrédients les plus volatils se mélangent dans cette région du Caucase Nord. Corruption, disputes ethniques, religieuses et économiques maintiennent la zone au bord de la guerre civile.

Portrait d’un pays rebelle

La plupart du temps, le Daghestan, moins médiatique que la Tchétchénie, frôle à peine les oreilles et les yeux des lointains et souvent indifférents occidentaux que nous sommes. C’est pourtant la plus grande république du Caucase Russe, la plus peuplée aussi, avec ses 2.6 millions d’habitants. Autre particularité : une incroyable diversité ethnique. On y trouve plus de 40 dialectes, même si la langue officielle est le russe. L’ethnie la plus importante est celle des Avars. Les populations sont par ailleurs divisées en clans. Comme sa voisine tchétchène et les autres république du Caucase russe (Karatchaïévo-Tcherkessie, Kabardino-Balkarie, Ossétie du Nord, et Ingouchie), la République du Daghestan est majoritairement musulmane (91% de la population). C’est traditionnellement l’islam soufiste qui est pratiqué par les populations, mais de nombreux missionnaires wahhabites, protégés par les rebelles islamistes, leur disputent désormais leurs fidèles. En dehors de quelques grandes villes, dont la capitale Makhatchkala, les habitants de cette république sous tutelle vivent surtout à la campagne. Sa configuration géographique entre Mer Caspienne et montagnes a permis au Daghestan de conserver longtemps cette variété culturelle exceptionnelle. Mais le géant russe, cherchant à combler ses aspirations d’empire tentaculaire, a commencé des campagnes d’unification il y a déjà cent cinquante ans dans la région. Il n’est parvenu à ses fins qu’après 30 ans, et avec la mobilisation de 300 000 hommes des troupes du Tsar. Il existe donc au Daghestan une vraie tradition d’’insoumission, qui perdure sous une autre forme aujourd’hui.

Violences quotidiennes

Ces derniers mois, le Daghestan a connu des violences pratiquement tous les jours. Il y a les assassinats de figures de l’autorité par les rebelles islamistes, mais aussi les règlements de comptes entre clans, et le terrorisme qui tue à l’aveuglette. Depuis le début de l’année, 82 membres des forces de l’ordre ont été tués, et 131 blessés. Mais les policiers et les juges ne sont pas les seuls à être visés par les insurgés djihadistes, puisqu’un pasteur de l’église orthodoxe, qui avait converti 800 personnes à sa foi a récemment été abattu. C’est aussi du Daghestan qu’étaient originaires les deux terroristes qui se sont faites exploser dans le métro moscovite en mars. Les rebelles semblent par ailleurs chercher une nouvelle stratégie contre Moscou, en attaquant des cibles économiques, comme ce fut le cas dans une des républiques voisine, où une centrale hydroélectrique a été partiellement détruite. Frapper dans les bourses, ça fait toujours mal (^^), surtout quand on sait que le sous-sol du Caucase russe est bourré de pétrole, de gaz et de charbon. Côté civils, le bilan est a priori moins lourd, avec 11 civils tués par des actes de terrorisme et 57 blessés. Mais le fonctionnement clanique et l’esprit rural et très pieu font du meurtre une occurrence plutôt fréquente dans le pays. Typiquement, si le membre d’un clan A est assassiné, et qu’on soupçonne un membre du clan B d’en être responsable, ce dernier ne va pas tarder à avoir un trou plutôt inconfortable dans la peau. Du coup, son clan voudra à son tour se venger, et ainsi de suite. Il peut également y avoir bataille pour l’accession à tel ou tel poste de pouvoir, avec un déroulement similaire. Le nombre des victimes de la violence politique exercée par le pouvoir central pour conserver sa mainmise n’est pas connu(surprise!). Le Daghestan est considéré comme la république la plus corrompue de Russie, ce qui n’est pas peu dire. Le président y est mis en place par Moscou, et les administrations locales reviennent généralement au plus offrant, au plus riche, au plus puissant. Pour les autres, il ne reste que les miettes, et 20% de la population n’a pas d’emploi légal. Le marché noir et la prostitution fleurissent au détriment des plus modestes. Une injustice flagrante qui contribue à la défiance des daghestanais face aux autorités, et à l’augmentation du nombre de rebelles recrutés parmi les déçus du système.