Publié le : 14 juillet 20207 mins de lecture

Lundi, Joseph Kabila, président du Congo-Kinshasa, s’est rendu à Kigali pour assister à l’investiture de son homologue rwandais Paul Kagamé. Sa présence n’est pas passée inaperçue, puisqu’elle confirme la réconciliation des deux pays. Rwanda et Congo ne sont pas seulement frères de frontière, d’ethnies et de culture, ils sont siamois, joints à la hanche par la région des Grands lacs (Nord et Sud Kivu) qui regorge d’or, d’étain et de coltan. Pourtant l’histoire de ces nations n’a pas toujours été pacifique. C’est ce que souligne un pré rapport de l’ONU accusant l’armée rwandaise d’exactions et de crimes de guerres en RDC, dont certains pourraient être qualifiés de génocide.

Le rapport 1993 – 2003

L’enquête émane du Haut Commissariat des nations unies aux Droits de l’Homme (HCDH) et détaille 600 cas de meurtres collectifs, de tortures, d’enlèvements et de viols. Des faits qui étaient pour la plupart déjà connus, mais qui ont été rassemblés systématiquement et étayés par de nouveaux témoignages, pour produire ce catastrophique catalogue, cet inventaire infernal.

1994 : depuis la fin du génocide rwandais, où 800 000 Tutsi et Hutu modérés ont été massacrés, les tensions ethniques n’ont de cesse de franchir les frontières. Les bourreaux réfugiés au Congo (alors Zaïre) continuent d’exterminer les Tutsi et d’attaquer le gouvernement rwandais, sans être inquiétés par Mobutu. En 1996, la situation s’envenime, et le Rwanda décide de soutenir les rebelles de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Zaïre (AFDL). La première guerre du Congo commence. En route vers Kinshasa, ils tuent de nombreux Hutu, anciens Interahamwe ou pas, c’est la loi du Talion qui s’applique, pas le temps de faire dans la dentelle. « L’étendue des crimes et le nombre élevé de victimes, probablement dans les dizaines de milliers, sont démontrées par les nombreux incidents détaillés dans le rapport. »

« L’utilisation extensive d’armes blanches et contondantes, particulièrement de marteaux, et les massacres systématiques des survivants après que les camps aient été pris prouvent que de nombreuses morts ne peuvent être considérées comme des dommages collatéraux de la guerre. Parmi les victimes se trouvaient surtout des enfants, des femmes, des vieux et des malades. ». L’attaque est couronnée de succès, et Laurent Désiré Kabila prend le pouvoir de la toute nouvelle République Démocratique du Congo. Deux ans plus tard, le gouvernement congolais est encore accusé de soutenir les rebelles Hutu qui ont afflué de toute la région. Une seconde invasion commence, qui va dégénérer en guerre régionale, impliquant 8 pays (Ouganda, Angola, Zimbabwe, Namibie, Tchad, Libye, Rwanda, Soudan et Congo) et 21 groupes armés non officiels. Pendant cette Deuxième guerre du Congo, les minerais sont pillés, et les crimes de guerre reprennent de plus belle. Elle va durer cinq ans et faire entre 3 et 4 millions de morts, majoritairement des civils.

Timing explosif

C’est Le Monde qui a parlé de ce rapport en premier, fin août. Tous les autres médias de la planète ont suivi et les réactions n’ont pas tardé. Pourtant, tous les principaux pays concernés avaient reçu un exemplaire du document en juin, leur laissant la possibilité d’en prendre connaissance et de le commenter avant vendredi 3 septembre, date prévue de sa publication.

Mais le gouvernement rwandais, premier sur le banc des accusés, est furieux. Il multiplie les déclarations fracassantes. Ainsi, le rapport serait un « document dangereux et irresponsable », et il serait « immoral et inacceptable que les Nations unies, une organisation qui a échoué dans sa mission d’éviter le génocide au Rwanda et les crises qui ont suivi pour les réfugiés, causes directes des souffrances endurées par le Congo et le Rwanda, accusent maintenant l’armée qui a mis un terme au génocide d’avoir commis des atrocités en RDC. ». Il faut dire que Kagamé a construit sa réputation dans sa gestion du pays après le génocide de 1994, dont il est sorti vainqueur et héroïque. Mais sa position s’est affaiblie depuis, et il a fallu quelques disparitions précoces d’opposants pour lui permettre d’être réélu en août avec 93% des voix. Pour éviter le déshonneur et peut-être le procès, il menace de retirer ses 3550 soldats de la paix au Soudan.

Dans un communiqué, la gouvernement rwandais affirme que le timing de publication du rapport ne serait pas exactement fortuit « il semble que les Nations unies tente de détourner l’attention internationale de leur dernière faute dans la région des Grands Lacs où récemment des centaines de Congolaises ont été violées sous le regard des forces de maintien de la paix. » Et il est vrai que les casque bleus de RDC (regroupés sous le nom de Monusco) ont été vivement critiqués il y a peu. Cette mission de maintient de la paix, qui coûte 1.35 milliards de dollars chaque année, aurait ignoré des avertissements prévenant de viols massifs et imminents. 242 victimes ont été attaquées entre le 30 juillet et le 4 août, la plus jeune un bébé d’un mois, la plus âgée une femme de 110 ans. Ces agressions ont été attribuées aux FDLR (menés par d’anciens Interahamwe) et aux rebelles Maï Maï congolais. Tout cela s’est déroulé à une trentaine de kilomètres d’une base de la Monusco dans le Nord Kivu. Roger Meece, représentant spécial de l’ONU pour la RDC a affirmé que ses troupes ne savaient rien de ce qui allait se dérouler, car elles étaient en effectif insuffisant. Cependant, un mail interne à l’ONU daté du 30 juillet semble dire le contraire.

Le rapport concernant les crimes de guerre en RDC dans les années 90 ne devrait être publié que le 1er octobre en raison des pressions exercées par le Rwanda. Mais les tensions dans la région des Grands lacs ne se sont pas arrêtées en 2003. Et la plus terrible des pratiques continue de sévir : le viol comme arme de guerre. En plus des insoutenables blessures physiques et psychologiques infligées aux victimes, certains utilisent ce moyen pour propager le Sida parmi leurs ennemis. Pendant ce temps, la Monusco patrouille à bord de chars, avec une poignée d’hommes mais jamais de femme , et parfois même sans interprète…